Discours du président Charles Michel lors de la cérémonie en hommage à David Sassoli, président du Parlement européen
Monsieur le Président du Parlement européen,
C’est par cette adresse à ton attention, cher David, qu’ont débuté toutes les interventions prononcées à ce pupitre depuis maintenant deux ans et demi. Dans ce temple de la démocratie européenne, à l’intérieur duquel tu as déployé ton intelligence, ta vitalité, depuis maintenant quinze ans. Et en nous adressant ce soir encore une fois à toi, nous aurions tous tellement voulu t’avoir à nos côtés. Président du Parlement européen, tu inspirais naturellement le respect. Et cela bien au-delà de la fonction. Un respect pour ta personne. Chaleureuse, empreinte de simplicité, authentique, souriante, et ferme quand la maîtrise de la réunion le nécessitait.
Nous sommes ce soir rassemblés pour rendre hommage au Président du Parlement européen, à un dirigeant politique, à un fier Européen, mais d’abord c’est à l’homme que nous disons adieu. David Sassoli est d’abord un fils. Un père. Un mari. Un frère. Un ami. Un collègue. Je veux dire solennellement, chaleureusement, affectueusement, toute ma compassion et mes condoléances à son épouse, à ses enfants, à sa maman, à toute sa famille, à tous ceux et celles auprès de qui il laisse un vide brusque et douloureux. Nous voudrions tellement pouvoir porter avec vous ne fût-ce qu’un peu de votre peine, Madame.
Une personnalité politique, c’est une femme ou un homme, dont la nature profonde, le caractère, mais aussi le parcours et les expériences de vie, déterminent un destin.
Et la première rencontre, souvent, laisse un souvenir indélébile. Et je me souviens bien de ma première rencontre avec David Sassoli. D’emblée j’avais été marqué par son attitude détendue, généreuse, tout entier tourné vers les autres, et puis ce visage si souriant, ce sourire, sa marque de fabrique. Et chez toi, David, le sourire ne ment pas: il dit beaucoup de ton âme. Il dit beaucoup de tes convictions, sincères et solides. Il dit tes forces et tes doutes. Mario Monti il y a quelques jours a eu des mots justes, et je veux ici le citer: “Les gens ordinaires, comme les responsables politiques, ont perçu en David Sassoli une façon de participer à la vie politique qui n’est pas cynique, qui n’est pas machiavélique, qui n’est pas tordue, qui n’est pas incompréhensible, qui n’est pas essentiellement intéressée.” Et cette marque, cette signature, David, ton fils Giulio à Rome il y a quelques jours, l’a résumée avec des mots qui résonnent juste: “David Sassoli ce sont des idées fortes, et une manière douce.”
Et oui, tes convictions, elles étaient fortes, et elles ont défini tes engagements. D’abord comme journaliste. Informer, c’est se mettre au service d’un idéal, c’est aider les citoyens à éclairer le monde et à mieux le comprendre. Et forts de cette compréhension, à ensuite exercer leurs droits et leurs libertés, en toute dignité et en toute responsabilité. Ce métier de journaliste, tu l’as pratiqué avec passion et une élégance aussi qui a laissé un souvenir indélébile auprès de millions de téléspectateurs et citoyens italiens.
Et puis l’autre matrice de ton engagement, connue de tes proches avant qu’elle ne trace progressivement la route de ton action politique, ce sont les idéaux de justice sociale et de solidarité. C’étaient tes étendards. Et bien plus que des étendards, c’était aussi des actions concrètes que tu portais. Comme, par exemple, tes décisions qui ont été relevées comme président du Parlement d’ouvrir les portes de cette maison afin de venir en aide aux plus démunis, spécialement les femmes, durant la pandémie.
De notre coopération, des moments que nous avons passés ensemble, je garde, cher David, des souvenirs précieux. Des moments qui montrent que la bienveillance, c’est une force et cela n’est jamais une faiblesse. Des moments qui montrent que tu avais le souci constant de rassembler pour nous tourner ensemble vers l’avenir. Pour susciter aussi des idées nouvelles au service de l’Europe.
Je suis certain qu’Ursula se souvient comme moi de ton initiative de nous réunir, c’était en janvier 2020, à Bazoche, en France, dans la maison de Jean Monnet, pour réfléchir et préparer ensemble les défis de cette législature européenne qui s’ouvrait devant nous. Je me souviens plus spécialement du dîner dans cette salle à manger familiale, tu y as fait régner une atmosphère qui mêlait complicité, enthousiasme, générosité, mais aussi la conscience partagée de la puissance de nos valeurs démocratiques européennes. Ce soir-là, j’ai appris à te connaître, j’ai découvert une personnalité attachante, réellement, ferme sur ses valeurs et tellement attachée à ce sens du compromis qui forge l’unité européenne. Et ce sont ces qualités-là, nous ne le savions pas sur le moment, qui se sont révélées quelques mois plus tard tellement utiles, tellement précieuses, lorsqu’il s’est agi de nous mobiliser pour adopter le budget et le plan de relance européens.
Nous avons aussi fait face avec toi à la concrétisation du Brexit. Et c’est ensemble, lors d’une conférence de presse à Bruxelles, que nous avions décidé de marquer symboliquement ce jour du Brexit de notre détermination commune à faire progresser le projet européen, au service de tous les citoyens. Aujourd’hui, on peut le reconnaître, il n’était pas simple alors de transformer ce revers politique en un moment d’optimisme. Et David Sassoli a eu les mots justes et les mots enflammés pour défendre le projet européen. Des mots qui venaient du cœur. Des mots qui captivent l’auditoire, des mots qui font bomber le torse, relever la tête. Des mots qui donnent l’envie d’avancer plus vite et plus loin. Tu disais, David – et c’est tellement vrai – que si les pouvoirs autoritaires critiquent ou attaquent l’Europe, c’est parce que notre démocratie, nos libertés, nos valeurs leur font peur. Si cela marche chez nous, cela peut marcher ailleurs aussi. Les valeurs européennes de liberté et démocratie sont des menaces existentielles pour les autocrates partout dans le monde. Et ce jour-là, j’ai vu comment le souriant et bienveillant David Sassoli pouvait aussi se transformer en tribun passionné, un véritable lion au service de la démocratie européenne.
Et puis je n’oublie pas non plus ces moments, parfois publics, parfois à huis clos, quand David portait haut ses messages et ceux du Parlement européen, sans craindre d’incommoder voire même de contredire les opinions ou les décisions des chefs d’État ou de gouvernement. Comme par exemple lors de cette conférence à Bled en Slovénie, en septembre dernier, au lendemain de la chute de Kaboul. Suscitant des remous, des bruissements au premier rang de la salle, tu y avais critiqué vertement les gouvernements, à ton goût trop frileux sur les questions migratoires. Et là, j’ai vu David Sassoli, sourire aux lèvres toujours, mais combattant, le regard perçant, la parole sans concession.
Enfin, il y a un mois à peine, c’était le 16 décembre dernier, nous étions ensemble à la même table du Conseil européen. Selon la tradition, et avec ton habituelle bienveillance chaleureuse, tu entamais les travaux en nous présentant les positions du Parlement sur les sujets à l’ordre du jour. Et je me sens touché et ému en repensant à ce moment et en relisant le discours. Parce qu’en effet, tu nous avais dit – était-ce prémonitoire? – vouloir aller au-delà des thèmes d’actualité pour parler de la rénovation du projet européen. Je peux y voir aujourd’hui une forme de testament politique. Tu y appelais de tes vœux – et je te cite – “un nouveau projet d’espérance – l’espoir pour l’Europe – un projet qui puisse incarner notre Union, nos valeurs et notre civilisation”. Et de façon concrète tu proposais que ce 9 mai prochain soit l’occasion d’une grande manifestation qui témoigne de notre attachement vigoureux à ce projet.
David, tu t’en vas. Et c’est à nous maintenant qu’il incombe d’être fidèles à l’engagement sur lequel tu avais conclu – et je te cite ici aussi –: “À charge pour nous, disais-tu, de traduire ces visions en actes, pour que l’Europe tienne son rang et ses promesses, au service de tous les Européens.”
Tenir son rang, cher David, tu as fait ta part, et bien au-delà, pour que l’Europe tienne son rang. Tu as tenu ton rang d’homme, tu as tenu ton rang de citoyen, tu as tenu ton rang de dirigeant politique engagé avec ferveur pour nos valeurs communes. Tu t’en vas David. Et une part de toi reste en chacun de nous. Nous sommes inspirés par ton exemple.
Merci, cher Président. Merci, cher David. Repose en paix.