Intervention du président Charles Michel à l’issue de sa rencontre avec le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel
C’est évidemment un plaisir pour moi d’être ici au Luxembourg. Merci pour l’accueil chaleureux et merci pour cette occasion de se rencontrer et d’être au travail pour le projet européen.
Xavier Bettel est un bon partenaire, un bon partenaire pour le projet européen, un ami européen, et un ami tout court. Xavier, ton franc parler, ton pragmatisme, mais aussi tes convictions très fortes et très solides, elles ont un impact qui est clé pour la dynamique du Conseil européen et pour la dynamique européenne. Je dois aussi te remercier pour cela, naturellement.
Xavier a brossé quelques-uns des thèmes que nous avons évoqués, discutés ce matin en préparation des prochains moments européens, tout au long des prochaines semaines et des prochains mois. Je vais tenter de ne pas trop répéter ce qu’il a dit, mais tout de même d’insister sur quelques-uns des éléments.
Xavier l’a indiqué: ce matin, il n’y avait pas seulement cette réunion de travail avec nos conseillers, avec l’ensemble de nos équipes, pour l’avenir de l’Europe, mais il y a eu aussi un moment émouvant et inspirant: se retrouver ensemble dans la maison natale de Robert Schuman. Parce que je pense que lorsqu’il y a des défis, lorsque les vents de face peuvent être parfois un peu durs, il est important d’avoir nos pieds bien ancrés dans l’histoire, avoir la conscience et la lucidité de notre histoire commune, afin de pouvoir regarder ensemble le plus possible dans la même direction. Nous voyons bien quels sont les défis devant nous. Nous voyons bien comment nos pieds sont ancrés dans des valeurs solides. Alors il y a d’abord les valeurs: l’État de droit, la gouvernance, les libertés fondamentales sont ces valeurs-là. Après le drame – les drames – du siècle passé, qui ont inspiré des personnalités, Robert Schuman et d’autres, qui ont eu la clairvoyance et le courage, la clairvoyance, le courage de dessiner un chemin empreint de paix, de stabilité et de prospérité qui s’est enraciné dans cette histoire européenne. Et nous aussi, notre génération, nous devons faire preuve de clairvoyance et de courage pour affronter les défis de notre époque.
Les valeurs fondamentales, l’État de droit, la gouvernance doivent rester une boussole centrale du projet européen. C’est aussi pour cela, ce n’est pas un hasard qu’il y a un peu plus d’un an, dans cette discussion âpre pour dessiner un budget et un plan de relance économique et financier pour l’Union européenne, on a décidé de renforcer le lien avec la gouvernance, l’Etat de droit et nous devons veiller maintenant à ce que ce qui a été décidé puisse être mis en œuvre loyalement, de bonne foi, conformément aux accords qui ont été pris. C’est un premier point.
Deuxième élément qu’il faut mettre en évidence: la promesse européenne, c’est aussi la promesse de prospérité, de développement économique, de cohésion sociale. Et nous voyons bien que notre modèle de prospérité est bousculé.
Nos repères sont ébranlés parce que nous comprenons depuis plusieurs années maintenant que le changement climatique et la révolution digitale sont deux transformations majeures de notre modèle de développement. Et en cela, je pense qu’il est heureux que l’Union européenne (le Conseil européen) ait pris avant la crise du COVID, des décisions majeures. Il y a bientôt deux ans, au mois de décembre, on a pris cette décision de faire de l’Europe le premier continent neutre sur le plan climatique. Et on voit bien, on l’a vu cet été, de manière tragique aussi sur le continent européen, les incendies graves, les inondations qui ont frappé plusieurs pays européens, que la menace climatique n’est pas une menace théorique ou virtuelle, c’est une menace bien réelle qui ébranle des familles, qui ébranle et bouleverse la vie et qui doit nous amener à revoir notre paradigme, à revoir notre logiciel. Et là où, effectivement, les ressources naturelles ont été usées, et peut être même abusées, nous voyons bien que, aujourd’hui, on doit construire un autre modèle. L’innovation, la recherche, le courage vont être des clés pour réussir à franchir des obstacles devant nous. Xavier a, à juste titre, mentionné le paquet législatif “Prêts pour 55”, “Fit for 55”. Et on voit bien que ce paquet va donner lieu à un travail intense au niveau ministériel, très certainement pour tenter de dégager des capacités, d’implémenter des mesures, de prendre des décisions. Et le Conseil européen assumera sa part de responsabilité afin d’encourager les efforts pour prendre des décisions sur ces sujets extrêmement importants.
Deuxième élément que je veux mentionner à côté de la prospérité, de ces transformations, de l’importance de prendre des décisions justes et efficaces: c’est la question de l’influence de l’Europe dans le monde. La question de l’Union géopolitique, de l’Union stratégique. Et effectivement, nous sommes très nombreux à considérer que nous devons, comme Union européenne, puissance économique, puissance démocratique, tenter d’être plus efficace pour promouvoir davantage encore les valeurs de paix, de stabilité, de liberté, d’État de droit partout dans le monde. Et pour cela, ce qu’il s’est passé en Afghanistan, doit être un moment, me semble-t-il, de lucidité et nous amener, je le pense sincèrement, à accélérer le travail pour conforter une capacité géopolitique, une capacité géostratégique et probablement à faire progresser des coopérations, des coordinations sur le terrain de la défense. Et c’est la raison pour laquelle, dès le mois de juin, dans le Leaders’ agenda qui a été proposé à l’ensemble des 27 chefs d’État et de gouvernement, nous avions indiqué qu’au mois de mars, l’année prochaine, nous tiendrions un Conseil européen dédicacé à la défense et à la sécurité, inspirés par la boussole stratégique qui était en préparation avec le haut représentant Borrell, qui joue un rôle important sur ces sujets-là. Afghanistan, relations avec la Chine, relations avec la Russie, engagement dans les Western Balkans, engagement pour le Eastern Partnership, déploiement de nos capacités d’investissement, plaidoyer pour faire progresser l’État de droit et les valeurs, voilà la boussole dans laquelle nous devons nous retrouver. Et certainement, je veux le dire avec force, nous avons des alliances solides, l’alliance transatlantique en est une, mais je pense que si nous voulons des alliances solides, il faut que chacun des alliés soit solide. Et renforcer l’autonomie stratégique de l’Union européenne, c’est aussi renforcer les alliances. C’est bon aussi pour nos alliés, que nous soyons plus solides et plus robustes sur le plan géopolitique.
Enfin, un dernier point. Nous allons aussi avoir l’occasion, dans les prochains mois, de beaucoup parler des questions économiques, des questions financières, au travers du déploiement, de la mise en œuvre, du Fonds de fonds de relance européen et des plans nationaux qui, progressivement, vont se mettre en place et se mettre en œuvre, mais aussi au travers du débat dans le cadre du Pacte de stabilité et sur le cadre macrofinancier que nous souhaitons dans ce monde après le Covid, dans ce monde au cours duquel la révolution digitale et les ajustements climatiques vont être des piliers pour la prospérité en Europe. On va devoir trouver cet équilibre, qui doit faire la fierté de l’Union européenne, entre d’une part le dynamisme économique, la capacité d’innovation et d’investissement, mais aussi garantir cette solidarité et cette considération sociale, parce qu’on ne doit pas oublier à aucun moment la finalité du projet européen, ce sont les femmes et les hommes, ce sont les personnes, ce sont les êtres humains, qui sont au coeur de ce projet européen depuis le premier jour.
Et cela, nous qui appartenons à cette troisième génération après le point de départ du projet européen, on doit absolument ne pas le perdre de vue. Car c’est cela, en fin de compte, au bout du chemin, qui doit être notre objectif: le bien-être, la capacité de faire progresser les conditions de vie.
Voilà quelques-uns des éléments, Xavier l’a indiqué, beaucoup de sujets intenses et denses ont été abordés. Encore une fois, merci au gouvernement du Luxembourg, merci à toi personnellement, Xavier, pour ton dynamisme, ton implication, ton engagement européen, qui est extrêmement utile. Parce que bien souvent, lorsque tu t’exprimes autour de la table et que tu rappelles les quelques boussoles centrales que nous avons encore évoquées ce matin, c’est effectivement des moments qui sont nécessaires pour faire avancer l’Europe dans la bonne direction. Merci pour l’utilisation judicieuse de l’arrosoir qui permet effectivement de faire prospérer les valeurs communes.